Nous avions trouvé Michel-Alain allongé sur le sol de la grotte pour relever l'empreinte d'un loup près du Panneau des Chevaux, au fin fond de la grotte. Son intérêt pour les empreintes d'animaux découle naturellement de son expertise de la faune du Pléistocène : illustrateur (et peintre) de grand talent, il a illustré le guide de ces mammifères disparus qui fait référence (cette conjugaison de dons artistiques et technico-scientifiques, rare dans les équipes américaines, est une caractéristique particulière des archéologues français). Les empreintes de pieds humains qui avaient été découvertes l'année précédente présentent peut-être un intérêt plus grand que les empreintes animales qu'il étudie, puisqu'il s'agit des empreintes les plus anciennes connues d'hommes modernes (des empreintes plus anciennes d'Africains sont connues mais elles appartiennent à des espèces d'hominidés plus anciennes).
Se fondant sur les comparaisons avec les populations européennes modernes, Michel-Alain les interprète comme des empreintes d'un enfant âgé d'environ huit ans mesurant un mètre trente ; à partir du rapport entre la largeur et la longueur du pied, on pourrait déduire qu'elles appartiennent à un garçon. Les traces de torche qui suivent, le long du plafond, le chemin des empreintes sont sans doute dues à la visite de l'enfant : le bois carbonisé d'une torche de pin doit être raclé périodiquement pour que le feu continue de bien brûler. Une analyse au radiocarbone donne une datation de 26.000 ans pour l'une des traces de torches, ce qui représente en gros 1300 générations. Le fait que les empreintes ont une seule direction, de l'arrière vers l'entrée actuelle de la grotte, est le plus intrigant peut-être.
Ce fait a permis de faire émerger une série de discussions dans l'équipe française. Mesurée depuis la paroi de la falaise, la grotte fait environ 450 mètres de long. Elle se termine par une barrière de calcite très loin de l'entrée actuelle ; il est possible que cela ait obstrué une grotte qui était plus étendue à l'origine. Fait plus important, la grotte semble se diviser naturellement en deux parties : la partie antérieure où dominent les peintures rouges ; et l'arrière qui contient le plus d'images noires avec les empreintes du garçon. La connexion des deux moitiés à l'époque préhistorique n'est pas encore très évidente. Le passage actuel entre les deux parties est une entrée surbaissée qui pourrait avoir été bloquée à la période glaciaire. Y avait-il une entrée à l'arrière qui a été empruntée il y a 26.000 ans par le garçon ? Une partie de l'équipe penche pour cette interprétation, mais cela supposerait une grande entrée verticale, avec une descente de 55 mètres depuis le haut du plateau.
Tout aussi pertinente est la question de la raison de la visite de l'enfant. Ce n'est pas la première empreinte humaine, ni même la première empreinte d'enfant qui ait été découverte dans une grotte préhistorique. Leur découverte occasionnelle dans différentes grottes a conduit beaucoup d'archéologues à en tirer la conclusion que ces sites servaient à des rituels d'initiation ; dans une approche chamanique, peut-être à la recherche de visions. Mais Michel-Alain, spéléologue amateur passionné, a un autre point de vue : selon lui, il est plus probable que la visite de l'enfant était due à la même émotion qui l'amène à visiter des grottes en dehors de son travail : un esprit d'aventure gagné par l'exploration de ces mondes souterrains fabuleux ; cet état d'esprit est particulièrement aiguisé chez les jeunes. De surcroît, Michel-Alain a le sentiment que les traces d'empreintes d'enfant sont sur-représentées dans les sites préservés, " en raison du fait que les jeunes empruntent des chemins atypiques où leurs traces ont moins de chances de disparaître ".
Nous ne serons probablement jamais en mesure de déchiffrer les motivations des individus de l'époque préhistorique, bien sûr, et peut-être ne pourrons-nous ne jamais savoir ce qui a amené cet enfant dans cette grotte il y a 26.000 ans. Mais qu'une partie de l'art, et donc des activités préhistoriques de la grotte Chauvet, aient une origine rituelle ne fait aucun doute pour les autres membres de l'équipe. À cet égard, sont à noter trois grands panneaux, qui ne se composent apparemment que de points peints en rouge, localisés dans la partie antérieure de la grotte (en gros à 45 mètres de la paroi de la falaise et de l'entrée originelle présumée). Ils ont été étudiés par Dominique Baffier et Valérie Feruglio et ont livré, comme beaucoup de choses dans la grotte Chauvet, des résultats quelque peu inattendus.
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