Et la grotte en moi
Notre visite a été centrée sur l'art, bien entendu ; en partie, parce que l'art est ce qui fait l'importance de la grotte et, en partie, parce que Larry, Jim et moi sommes surtout des spécialistes d'art rupestre. Je ne pouvais certes pas m'empêcher de ressentir une sérendipité personnelle tandis que Jean Clottes nous guidait dans la grotte. J'avais décidé de faire carrière dans l'archéologie des grottes ornées à l'âge de douze ans, à l'occasion de ma première visite d'un site paléolithique, la grotte de Niaux, dans les Pyrénées françaises (j'admets m'être demandé parfois, plus tard, si l'âge de douze ans est le bon moment pour décider d'une carrière). Ce que j'ignorais, à l'époque, est que Jean effectuerait par la suite la première étude sur Niaux qui fit autorité, et que finalement nous deviendrons grands amis et collègues. Ma visite dans la grotte à ses côtés semblait fermer la boucle de la série de coïncidences qui avaient commencé trente-cinq ans plus tôt.
Et ma première réaction à la grotte Chauvet ressemblait aux sensations d'autres grottes paléolithiques : un déchirement intérieur entre ma réaction à l'art et aux grottes géologiques elles-mêmes. Je trouve qu'il est difficile de ne pas être subjugué par la splendeur naturelle de ces grottes - c'est comme si j'étais tombé, la tête la première, dans le coffre à trésors d'un pirate, plein de pierres précieuses, de bijoux, de doublons d'or et de réaux d'argent, tous plus scintillants les uns que les autres, comme un résultat du dépôt de cristal et de calcite multicolore sur leurs surfaces rocheuses naturelles. Signe révélateur, le vocabulaire pour décrire ces formations et dépôts naturels, même dans les sèches descriptions des rapports scientifiques a peu en commun avec le jargon standard des métiers de la géologie. Il se rapproche d'autres métiers plus éloignés comme celui du tailleur pour décrire les créations d'un autre monde que l'on trouve dans ces cavités souterraines, d'où un terme comme " draperie " pour décrire les couches de calcite doucement ondulées qui se développent et pendent - tels un rideau ou un tissu - du plafond. Il y a une sensualité viscérale dans ces grottes que je n'ai jamais retrouvée sur terre et qui semble être un défi pour la terminologie scientifique.
Mais cette réaction émotionnelle m'embarrasse. Elle fait, j'ai l'impression de trahir l'archéologie, en tant que chercheur en art rupestre, je pense que je devrais toujours être subjugué par l'art et non par la simple géologie. Je lutte entre ce que mes émotions dictent à mon cerveau et ce que mon cerveau dit que je devrais ressentir. Mon séjour à la grotte Chauvet n'était pas différent à cet égard, puisque je ne cessais de balancer entre les beautés géologiques et artistiques qui m'entouraient. Et peut-être, me vint-il à l'esprit, cela fait-il partie de l'essence de cette grotte - une tension entre la beauté du monde qui nous entoure et du monde que nous, humains, tentons de créer. Peut-être la leçon à en tirer est-elle qu'il n'est pas nécessaire que l'un soit meilleur ou plus important ou plus beau que l'autre. Peut-être la leçon de la grotte Chauvet est-elle que les deux peuvent en fait coexister à merveille (dans cet exemple depuis plus de 30.000 ans) et que chacun façonne l'autre (chose que Henri Rousseau et ses successeurs modernes éco-primitifs auraient de la peine à admettre). Peut-être la leçon est-elle que toujours nous luttons entre nos émotions et notre raison (que Descartes a tenté d'opposer, à tort d'après moi). Ou, peut-être, la leçon est-elle simplement que j'éprouve souvent des sentiments confus lorsque je suis entouré de beauté, et que je lutte pour que cela ait du sens pour moi.
Plus qu'aucun lieu que j'aie jamais visité, la grotte Chauvet incarne cette connexion obscure entre l'art et la croyance, entre émotion et science rationnelle, connexion que dans mes recherches je me suis efforcé de relier et de comprendre. Et bien que certains aspects de l'approche scientifique de la grotte Chauvet semblent en partie évidents - à tout le moins l'origine chamanique d'une partie de cet art - les autres éléments de cette connexion continuent d'échapper à une explication totale.