Que cet art soit au moins en partie chamanique fut évident lorsque Jean nous amena à un petit panneau situé près du fond de la grotte : une colonne de chaux qui pend du plafond à quelques pieds du sol. Il y a une image évidente d'un individu humain peinte en noir sur cette colonne, mais c'est un humain transformé en partie en animal : debout et bipède mais avec la tête et les cornes d'un gros quadrupède. On l'appelle, sans surprise, le Sorcier (alternative quelque peu médiévale au mot chamane). Comme sur beaucoup d'autres aspects de la grotte Chauvet, il y a discussion dans l'équipe à ce sujet ; dans ce cas, à propos de l'identification des espèces animales. Pour certains, c'est un bison ; pour d'autres, dont Jean, un bœuf musqué, cas de figure qui serait unique dans l'art paléolithique. Lorsque j'étais au lycée, un vieux montage muséal d'un bœuf musqué empaillé occupait la plus grande partie de mon salon - à Noël, il faisait office d'arbre et était décoré, avec nos présents entre ses jambes - cela m'a donné une sorte d'intimité avec les bœufs musqués dont peu de personnes peuvent se prévaloir. M'appuyant sur ce savoir, j'ai plaidé pour le bœuf musqué.
Mais le plus important n'est pas l'identification de l'espèce ; c'est la combinaison de caractéristiques humaines et animales. C'est une caractéristique particulièrement répandue dans les arts chamaniques ; une caractéristique que certains, (comme Joseph Campbell) attribuent à des archétypes universels jungiens et / ou à quelque connexion rituelle profonde et inexpliquée entre le chasseur et sa proie. Notre explication actuelle de ces fusions humaines-animales, est, par opposition, fondée sur la neuropsychologie. Elles dérivent d'attributs universels des effets corporels de la transe : hallucinations tactiles de la peau qui semble se couvrir de poils, par exemple ; sensations plus fortes de transformations du corps ; et la sensation psychologique de devenir ce qu'on imagine - dans ce cas un bison ou un bœuf musqué.
D'autres aspects de l'art dans la grotte semblent venir en complément de l'origine chamane du Sorcier. Certains correspondent aux prédictions spécifiques du modèle neuropsychologique de David. Un rhinocéros est dessiné avec soin avec un profil anatomiquement correct, par exemple, mais sa tête est en surimposition sur une série de têtes et cornes plus grandes et plus petites dupliquées - sorte de fragmentation et de duplication de l'imagerie mentale qui survient dans les états de transe. Un bison est peint avec sept (peut-être huit) pattes, reflétant peut-être la sensation d'appendices supplémentaires qui peut se produire lors des hallucinations corporelles. La courbe d'une paroi de la grotte est utilisée, ici, pour figurer la ligne dorsale d'un ibex, là, celle d'un cheval, comme si les animaux faisaient réellement partie de la surface de la pierre, et le chamane, ainsi que l'ont analysé David et Jean, a transformé ce qui est donné en création. Des formes géométriques peintes - stade léger du début de la transe - sont dispersées comme au hasard au milieu d'images d'animaux reconnaissables. Même si des explications alternatives peuvent être proposées pour chacune de ces peintures et particularités, aucune autre interprétation que le chamanisme ne peut rendre compte de la totalité d'entre elles ainsi que d'autres particularités telles que celles trouvées sur le site.
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